Écrit par Marion Rungette
Gilles Gateau : « Les cadres attendent des entreprises qu’elles soient non seulement performantes, mais aussi humaines et engagées ».
Entretien avec Gilles Gateau, directeur général de l'Association pour l'emploi des cadres (Apec)
L’Apec, Association pour l’emploi des cadres, est une organisation paritaire qui se mobilise pour aider les cadres et les jeunes diplômé.es à partir de Bac+3, en particulier les publics les plus fragiles face à l’emploi. Opérateur du Conseil en évolution professionnelle (CEP), l’Apec permet à ses clients de s’informer, réfléchir, se projeter et agir pour leur projet professionnel. L’Apec accompagne aussi les entreprises, notamment les TPE-PME, dans leurs recrutements, et son observatoire analyse et anticipe les évolutions et grandes tendances du marché de l’emploi cadre.
Malgré les incertitudes économiques, comment l’APEC parvient-elle à convaincre les entreprises que miser sur la formation et le développement des compétences contribue à rendre les entreprises performantes, compétitives mais aussi utiles
au bien commun ?
Dans un contexte économique incertain, les entreprises demeurent attentives et prudentes pourtant, former les collaborateurs, c’est garantir l’employabilité durable, permettre à chacun de s’adapter, de progresser, et de contribuer activement à la transformation des organisations. Avec les bouleversements technologiques de l’intelligence artificielle générative, la formation et le développement des compétences, c’est aussi donner à l’entreprise les moyens de rester performante, innovante et résiliente.
Paradoxalement, alors que l’intelligence artificielle représente l’un des plus grands enjeux des prochaines années, les entreprises n’ont pas encore massivement investi dans la formation de leurs collaborateurs à ces outils. Notre dernière étude, publiée le 3 juin, révèle que seuls 54 % des cadres déclarent avoir été formés à l’utilisation de l’IA contre 86 % qui souhaiteraient bénéficier de formation. Ce décalage illustre l’urgence, pour les entreprises, d’anticiper les mutations des métiers et de former leurs collaborateurs pour rester compétitives.
À l’Apec, nous accompagnons les entreprises dans cette dynamique vertueuse, car nous croyons que miser sur les compétences, c’est construire une économie durable, inclusive et tournée vers l’avenir.
En quoi l’empreinte positive des entreprises passe par leur robustesse économique tout en veillant au bien-être des collaborateurs ?
L’empreinte positive d’une entreprise ne se résume plus aujourd’hui à ses résultats économiques : elle se mesure à sa capacité à conjuguer performance et responsabilité sociale. Une entreprise économiquement robuste crée de la valeur, innove, investit et sécurise des emplois. Mais cette solidité ne peut être durable que si elle repose aussi sur le bien-être des collaborateurs. À l’Apec, nous observons que les cadres attendent des entreprises qu’elles soient non seulement performantes, mais aussi humaines et engagées.
Notre étude publiée en 2024 sur la qualité de vie au travail le confirme : 45 % des cadres placent désormais les conditions de travail – qualité des relations, reconnaissance, autonomie, charge – parmi leurs critères clés dans le choix d’un employeur. Et près d’un cadre sur deux a déjà quitté son poste par manque de reconnaissance. Lorsqu’une entreprise prend soin de ses salariés, elle les fidélise, réduit le turnover, et développe un collectif engagé. C’est un cercle vertueux : ce bien-être nourrit la performance, mais aussi la contribution sociale de l’entreprise.
C’est cette alliance entre efficacité économique et attention portée aux collaborateurs qui forge une véritable empreinte positive, durable et inclusive.
Dans un contexte économique et géopolitique incertain, comment évolue le marché de l’emploi cadre au deuxième trimestre 2025, et quelles en sont les conséquences pour les entreprises comme pour les cadres ?
Le marché de l’emploi cadre, historiquement plus résilient, montre aujourd’hui de nets signes de ralentissement dans un climat économique incertain. Selon le baromètre Apec du 2ᵉ trimestre 2025, la confiance des entreprises recule sensiblement : seules 9 % prévoient de recruter un cadre, un niveau historiquement bas, et ce, malgré quelques signes de reprise dans les PME. La faible croissance (+0,1 % au T1), les tensions géopolitiques et les incertitudes politiques nationales nourrissent une prudence généralisée.
Les cadres ne sont pas en reste : leur confiance dans la sécurité de l’emploi (72 %, -3 pts) et dans leurs perspectives de carrière (59 %, -4 pts) est en baisse, notamment chez les moins de 35 ans, qui subissent de plein fouet la contraction du marché (-16 % d’embauches prévues pour les jeunes diplômés).
La mobilité externe reste désirée, mais 56 % des cadres estiment aujourd’hui difficile de retrouver un poste équivalent. Ce climat génère un risque de désengagement, en particulier chez les jeunes cadres, confrontés à un marché plus sélectif, où les marges de négociation se réduisent. Le rapport de force s’inverse au profit des employeurs, redéfinissant les dynamiques du marché cadre.