Écrit par Marine DEFALT
Roxane Fournier : « La RSE est devenue à la fois une contrainte et un levier concurrentiel ».
Entretien avec Roxane Fournier, Directrice Générale de Mavence France
Mavence est un cabinet de Chasse de Talents et de Conseil en Management spécialisé dans les métiers de l’influence et de la gouvernance.
Composé exclusivement de consultants praticiens du secteur, ce positionnement exclusif permet à Mavence d’offrir à ses clients, une compréhension immédiate de leurs besoins en influence, une crédibilité de pair à pair vis-à-vis des candidats et une connaissance immédiate et actualisé du marché.
Comment encourager les entreprises vertueuses et engagées sur le terrain de la RSE à investir davantage le terrain de l’influence pour promouvoir leurs engagements ?
D’abord un constat évident mais qu’il me semble néanmoins important de rappeler : de très nombreuses organisations étaient déjà engagées, consciemment ou non, dans une démarche RSE avant même que cette dernière ne soit aussi popularisée. Lorsque j’étais à la direction commerciale et des affaires publiques d’un groupe industriel, la recherche de matériaux plus écologiques, de procédés moins énergivores ou encore de solutions de recyclage par exemple faisait déjà partie intégrante du quotidien et des discussions stratégiques. Aujourd’hui, les enjeux climatiques d’une part et la demande de transparence d’autre part renforcent cette dynamique, mais l’objectif reste le même : assurer santé économique et pérennité.
La nouveauté vient du cadre réglementaire, de plus en plus exigeant et de la prise de conscience collective de certaines pratiques néfastes et par conséquent de la pression des consommateurs. La RSE est devenue à la fois une contrainte et un levier concurrentiel : elle conditionne la compétitivité, mais constitue aussi un outil d’influence majeur. Il ne faut dès lors surtout pas se priver d’utiliser ce levier ! Le terrain de l’influence, qui intègre aujourd’hui pleinement la RSE, est de plus en plus concurrentiel et donc stratégique.
Pour cette raison, les entreprises doivent investir le champ de l’influence, non seulement via la communication mais aussi via les affaires publiques, les deux devant absolument travailler en synergie. On revient donc à ce fameux triptyque nécessaire : RSE, Communication et Affaires Publiques. Les investissements en RSE doivent être communiqués auprès des consommateurs et partenaires (la communication), mais cela doit aussi se faire auprès des pouvoirs publics (les affaires publiques) pour peser sur la norme future et faire en sorte de voir ses propres investissements ne pas être chamboulés par des normes nouvelles qui ne les prendraient pas en compte. Rester silencieux revient à laisser la place à des acteurs souvent plus bruyants mais pas toujours aussi exemplaires et à se priver d’un levier pour renforcer sa réputation, sa position sur le marché et son impact.
Deux leviers apparaissent essentiels en ce sens. Sans surprise, ils conjuguent communication et affaires publiques :
-Former des ambassadeurs internes: trop d’initiatives RSE restent invisibles et cloisonnées, sans bénéficier suffisamment au collectif. Sans synergie avec les affaires publiques et la communication, la RSE manquera sa mission transformative autant en interne qu’en externe. Chez Mavence, nous constatons au quotidien l’importance de cette approche intégrée.
-Intégrer les lieux de débat et de coalition: organisations professionnelles, autorités publiques de référence, think tanks, commissions parlementaires, consultations… c’est là que sont pensées les normes et qu’il faut peser. Faute de quoi, d’autres acteurs – parfois très partisans – occuperont seuls le terrain.
Comment les Affaires publiques s’inscrivent-elles au service de la performance globale, tant financière qu’extra-financière, d’une entreprise ?
C’est une excellente question qui nous est souvent posée, notamment pour définir la rentabilité d’un poste en Affaires Publiques ou pour définir ses fameux « KPI ».
Les affaires publiques sont toujours au service du développement économique, c’est leur unique raison d’être. « Faire du réseau » comme on l’entend encore trop souvent n’a pas le moindre intérêt s’il n’est pas adossé à la recherche d’un objectif clair.
Leur rôle est double : anticiper les normes, les évolutions ou les événements soudains pour donner de la visibilité à l’entreprise d’une part et alerter les pouvoirs publics sur les réalités du terrain et sur les conséquences d’éventuelles décisions d’autre part. A ce titre, elles opèrent à la fois sur le macro et le micro, le long terme et la gestion de crise. C’est là la description de fiche de poste la plus résumée mais également le plus complète d’un professionnel des affaires publiques : être le pont entre entreprise et décideurs publics pour informer au mieux les deux parties et permettre à chacun de prendre des décisions en connaissance de cause.
De manière très concrète sur les finances de l’organisation, cela permet par exemple d’éviter qu’un produit fabriqué ou utilisé soit retiré du marché. Cela peut également permettre de faciliter la mise sur le marché d’innovations ou encore d’obtenir certains financements publics… A l’instar d’une vente, le « gain » en affaires publiques consiste souvent à éviter des pertes ou saisir des opportunités : obtenir une exemption ou un délai pour se conformer à une norme, sécuriser l’ouverture d’un site dans un territoire, permettre le déploiement de nouveaux services, anticiper une crise politique dans un pays et ses conséquences sur l’organisation… Les actions au soutien direct de la croissance sont innombrables et dépendent tant du secteur d’activité que de la zone géographique d’influence (locale, nationale, européenne, internationale…).
Outre la seule performance financière, les affaires publiques contribuent aussi à préserver la réputation de l’entreprise, enjeu vital dans un contexte où une crise d’image peut suffire à tuer l’organisation. Les affaires publiques sont à la fois un soutien interne stratégique et un vecteur d’influence externe, les deux concourant à la performance économique de l’organisation.
D’ailleurs on voit l’importance du métier et l’immense spectre qu’il couvre au regard de la pluralité des terminologies de poste qui fleurissent ces dernières années : « Directeur des relations territoriales » ou « Chief Geopolitical Officer » concernant la compétence géographique. « Directeur du plaidoyer ou « advocacy » plus utiliser dans les associations et ONG car bénéficiant d’une connotation plus positive ; « Relations avec les parties prenantes » pour prendre en compte la multiplicité des interlocuteurs ; le classique « relations institutionnelles » ou le clivant mais simple « lobbyiste » que peu d’organisations osent (en France) encore mettre en avant… On voit aussi émerger de nouveaux périmètres « hybrides » où l’influence et la RSE se conjuguent dans des fonctions de directeur de l’impact « Chief Impact Officer » ou de l’engagement qui intègrent des missions de « change management » et de lobbying interne.
Le spectre des affaires publiques est large et les profils différents mais chacun poursuit toujours le même objectif : sécuriser et soutenir la croissance de l’entreprise.
Quels sont les bénéfices d’une coordination stratégique entre la RSE et les Affaires publiques pour anticiper et répondre aux attentes complexes ?
En raison du carcan réglementaire dans lequel elle a été introduite, la RSE est malheureusement trop souvent perçue par certaines organisations comme une contrainte normative et un travail de reporting. C’est oublier la dimension stratégique de la RSE comme partie intégrante de la croissance et de l’influence d’une entreprise. Tout comme les Affaires Publiques ; la RSE est une composante essentielle de l’activité économique : elle permet à la fois de structurer ses plans stratégiques, d’orienter ses investissements et de faire évoluer des pratiques en décalage avec les aspirations de notre société.
Une réelle coordination interne entre la RSE et les Affaires publiques permet de renforcer la crédibilité des propositions portées par l’organisation et la positionne de manière plus constructive dans le débat public. En combinant ces deux expertises, l’entreprise améliore sa capacité à anticiper les attentes des parties prenantes et à répondre de manière cohérente aux évolutions réglementaires et sociétales.
Cette coordination favorise également la résilience de l’organisation pour prévoir ou répondre à certaines situations de crises. En anticipation, elle contribue à renforcer l’acceptabilité sociale de certains projets, par exemple ceux liés à l’implantation ou à la construction d’infrastructures, en intégrant en amont les préoccupations des communautés locales. En réaction, elle peut réagir plus rapidement, de manière alignée, et ainsi limiter les impacts négatifs sur sa réputation et donc sur son activité.
Enfin, cette collaboration stratégique crée de la valeur durable en accompagnant la transition de l’entreprise vers un modèle tourné vers la croissance à long terme. Elle renforce la confiance des parties prenantes – citoyens, investisseurs, décideurs publics – tout en protégeant la performance financière et la réputation de l’organisation. À l’inverse, et l’actualité nous en donne preuve chaque jour, une mauvaise gestion des enjeux environnementaux, sociaux ou de gouvernance peut fragiliser l’entreprise, faire chuter sa valeur boursière et mettre en péril les intérêts de ses actionnaires…
La tendance que nous observons en matière de réorganisation va en ce sens et c’est réjouissant : de plus en plus de grand pôle « influence » naissent regroupant en leur sein la direction des Affaires publiques, celle de la Communication et celle de la RSE, les trois métiers devant travailler ensemble mais nécessitant chacun des compétences bien particulières.