Écrit par Marion Rungette
Jean Hornain : “Je suis convaincu qu‘il existe un capitalisme européen, ou du moins une « patte » européenne dans le développement économique.”
Jean Hornain est le directeur général de Citeo.
Existe-t-il un capitalisme européen ?
Je suis convaincu qu‘il existe un capitalisme européen, ou du moins une « patte » européenne dans le développement économique. Celle qui place les hommes, et avec eux l’environnement, au cœur du projet d’entreprise, car le progrès social n’est pas la conséquence du progrès économique, il en est la condition. Ce n’est pas un capitalisme naïf : des salariés bien formés et motivés sont un levier de performance.
Cette approche européenne inclut la responsabilité, prérequis à toute liberté y compris celle d’entreprendre. Pour Antoine Riboud, PDG de Danone entre 1973 et 1996, la responsabilité de l’entreprise ne s’arrêtait pas aux portes des usines et des bureaux. Citeo, l’entreprise que je dirige, en est une traduction concrète sur le plan environnemental. Créée par Antoine Riboud et Jean-Louis Beffa, dirigeant de Saint-Gobain entre 1982 et 2007, avec le soutien de Jacques Pélissard, Président de l’Association des Maires de France, et de Brice Lalonde, alors Ministre de l’Environnement, Citeo a été la première entreprise à exercer dès 1992 la Responsabilité Élargie du Producteur (REP) pour les emballages du quotidien.
Un exemple concret avec la Responsabilité Elargie du Producteur :
Avec la REP, les entreprises de la grande consommation et de la distribution, regroupées au sein de Citeo, assument le coût de prévention et de gestion de leurs emballages. Elles ont ainsi financé la création et le développement du « bac jaune » en partenariat avec les collectivités locales, atteignant un taux de recyclage de 70%. Depuis, cette responsabilité a évolué vers une véritable économie circulaire des emballages, avec plus de 1,6 milliard d’euros consacrés chaque année à la réduction, au réemploi et au recyclage (3R), ainsi qu’à la lutte contre les déchets abandonnés. La REP s’est étendue à de nombreux autres secteurs (électronique, textiles, meubles…) et a connu un développement en Europe et au-delà.
En internalisant le coût de l’impact environnemental, la REP est un outil au service de la préservation de la planète, promu par l’OCDE et les Nations Unies. Elle combine performance environnementale et économique, montrant que la liberté d’entreprendre, encadrée par des règles communes, peut être associée à la responsabilité sociale et environnementale. Les entreprises peuvent ainsi jouer un rôle essentiel au service du bien commun.
Cela nécessite bien sûr une réglementation pour cadrer et orienter l’action. La REP impose un coût sur chaque produit vendu pour financer les programmes d’éco-conception, la collecte, le tri, le réemploi et le recyclage. Elle est un modèle efficace de capitalisme à l’européenne : l’État fixe le cadre législatif et réglementaire et contrôle l’exécution, tandis que les entreprises mettent en œuvre les moyens pour atteindre les objectifs fixés.
Il est alors crucial que le système soit bien organisé, simple et compréhensible. L’État doit rester dans son rôle pour laisser les entreprises faire ce qu’elles savent faire de mieux : piloter de la performance. Quand l’Etat veut devenir le pilote, définir les moyens de l’action et administrer les relations entre les acteurs économiques, il n’est plus à sa place. Cette dérive, c’est celle que nous connaissons dans notre pays. L’Etat intervient trop fortement dans le fonctionnement opérationnel de la filière des REP et cela se traduit par une hausse soutenue et continue de la contribution des entreprises sans effet, ou presque, sur les résultats environnementaux. A l’inverse, il ne se donne plus les moyens d’effectuer sa mission régalienne : celle d’assurer un cadre concurrentiel efficient et de contrôler l’exécution des obligations par les entreprises mises en responsabilité.
Enfin, pour que cette forme de capitalisme responsable puisse perdurer, il ne doit pas être naïf face à des pays qui n’imposent pas les mêmes règles à leurs entreprises. Il est nécessaire d’appliquer des « clauses miroirs » ou des taxes aux produits entrant en Europe pour garantir une concurrence loyale.
En résumé, ce type de capitalisme, qui conjugue performance économique, environnementale et sociale, est une voie singulière pour l’Europe, à condition de lui offrir un cadre législatif harmonisé et fiable, de faire confiance à la liberté d’entreprendre et de lutter contre la concurrence déloyale.