Écrit par Marion Rungette

Michel Gardel : « L’Europe des marchés et des consommateurs doit devenir celle des citoyens.”

Michel Gardel est le Vice-président de l’Institut Choiseul et ex-Vice-président de Toyota Motor Europe.

Le capitalisme est un système économique qui recouvre différentes réalités, le libéralisme, l’économie sociale de marché, ou le capitalisme d’Etat. Le système qui m’apparaît le plus approprié en Europe, compte tenu de son histoire et des valeurs qu’elle promeut, semble être un retour vers le capitalisme rhénan. Ce système originaire d’Allemagne s’est progressivement délité avec l’intensification de la mondialisation, mais pourrait être réactivé au niveau européen. Ce modèle rhénan reposait sur un capitalisme ancré dans les territoires. Il donnait la priorité à la participation des salariés au projet d’entreprise, à la concertation. Il valorisait l’économie réelle, la qualité et la confiance dans l’avenir et se départait de la spéculation et des rendements à court terme. Il était fondé sur trois valeurs cardinales, la liberté, la solidarité, et l’équité des chances (refusant ainsi la notion d’égalitarisme, en accordant une plus grande valeur à la notion de mérite et de performance).

 

On notera que ce système a été soutenu par un robuste réseau de banques régionales, il privilégiait la proximité géographique, les petites et moyennes entreprises (Mittelstand), qui ont tant œuvré pour le succès de l’industrie allemande et les exportations. L’avènement d’un capitalisme européen reposant sur les valeurs du capitalisme rhénan nécessiterait la finalisation de l’économie sociale de marché, à savoir d’amener à son terme le projet d’Union des marchés de capitaux, et une restructuration du marché des services.

 

Pour mettre en œuvre une économie européenne souveraine et compétitive, (car il n’y a pas de souveraineté sans compétitivité, ni par ailleurs de développent durable sans compétitivité), il faudrait davantage fluidifier les flux financiers et commerciaux pour restaurer la compétitivité de l’économie européenne.

Sur le plan commercial, il serait également important d’unir les différents partenaires européens pour avoir une politique commerciale plus harmonieuse et établir des rapports de force face à la concurrence internationale et en particulier celle de la Chine et des Etats Unis. Bâtir une « Europe puissance » serait un excellent moyen de peser davantage non seulement dans le concert des nations pour faire entendre notre vision géopolitique et nos valeurs, mais également pour améliorer notre pouvoir de négociation commerciale, notamment dans le domaine des droits de douane.

Les limites principales que l’on peut entrevoir pour l’avènement d’un capitalisme européen, m’apparaissent de trois ordres, l’absence d’une politique budgétaire commune ou à tout le moins mieux harmonisée, la définition et la mise ne place d’un modèle social européen, une meilleure affirmation de la culture européenne (l’élargissement de l’UE à 36 membres me paraît de nature à fragiliser l’union et à accentuer la fragmentation, en créant une « Europe à plusieurs vitesses »).

Sur le plan budgétaire, il faudrait mettre un terme au dumping fiscal de certaines Etats membres de l’Union (en particulier celle de l’Irlande et notamment vis à vis des GAFAM). Seule une politique harmonisée pourrait mettre un terme à des distorsions de concurrence.

Sur le plan social, il y aurait lieu aussi d’éviter le dumping social de certains pays membres, et de mieux harmoniser le coût du travail[M.1]  dans l’UE, le temps de travail, et les conditions de travail. Le modèle social français n’a d’ailleurs jamais été accepté par les autres Etats membres en raison de son coût exorbitant.

 

Enfin, en dernier lieu la culture européenne et ses valeurs doivent être revisitées et mieux harmonisées, notamment à la veille de l’arrivée de nouveaux entrants. L’Union Européenne a longtemps été, sous l’impulsion des Britanniques, l’Europe des marchés et des consommateurs, il est nécessaire qu’elle devienne celle des citoyens et qu’elle fédère les peuples sans lesquels rien ne sera possible et durable.